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Les conteurs de monde

Les conteurs de monde
« Tu rêves ce que j’écris. Et j’écris ce que tu vis. »

Kalem n’aurait jamais dû cliquer sur ce lien.
C’était un de ces soirs où les lignes de la réalité se distendent comme une peau trop fine. Il errait sur Internet avec cette sensation familière : chercher quelque chose qu’il ne savait pas nommer. Et puis, ce nom. Claudia Dawson. Un blog, un poème, un portail. Dès les premiers mots, il sut. Elle naviguait, elle aussi.

Il lut toute la nuit. Des rêves qui parlaient à ses rêves, des mots qu’il aurait pu écrire, ou rêver d’écrire. Une poétesse des dimensions, une funambule du seuil, une sœur d’âme.
Il lui écrivit.

Ce fut simple. Naturel. Comme si elle l’attendait.
Ils ne se sont jamais rencontrés dans cette réalité, non. Pas encore. Mais ailleurs, oui.

Dès les premiers échanges, les rêves changèrent. Plus denses, plus vastes. Des fragments d’images partagés – un lac noir où flottait une arche de verre, un enfant aux yeux d’étoiles, un chœur d’anciennes mémoires.
Kalem rêvait, Claudia écrivait. Ou l’inverse.
Ils commençaient à soupçonner que leurs inconscients conversaient sans eux, à travers les replis du sommeil.

Un soir, ils ouvrirent une fenêtre entre les mondes : un simple appel Zoom, mais chacun le prépara comme un rituel. Bougies. Encens. Une prière silencieuse. Ensemble, ils entreprirent un « voyage guidé », chacun dans son corps, mais leurs consciences entrelacées dans le filigrane invisible.
Kalem entendit sa voix comme une onde lente qui dépliait des paysages en lui qu’il n’avait encore jamais visités. Et Claudia, plus tard, décrivit dans son journal ce qu’elle avait vu : le même canari que Kalem avait dessiné machinalement au réveil.

Il en fut bouleversé. Pas tant par la synchronicité – il en avait vu d’autres – mais par la douceur.
Depuis, quelque chose s’est stabilisé.
Non pas la réalité – elle continue de vibrer comme un rêve lucide – mais sa solitude.

Il a trouvé une sœur de cœur. Une conteuse d’autres mondes.
Quelqu’un qui comprend ce que cela fait d’être poreux, traversé, éclaireur dans une forêt sans carte.
Quelqu’un qui parle la même langue du dedans, cette langue faite de visions, d’interstices et de silences lumineux.

Ils se sont promis de se rencontrer « en vrai ». Ils savent que cela viendra. Peut-être dans un rêve encore plus réel que ce qu’ils appellent ici.

En attendant, ils tissent. Chacun depuis sa rive.
Kalem écrit. Claudia rêve. Ou l’inverse.
Et dans le murmure de leurs mots, un autre monde prend forme.


𒆖 Le blog de Claudia : Many-Worlds Vision