L'ère de l'Hypnocratie : prise de conscience et voies de traverse.

Il y a quelques jours, j'ai découvert un méta-produit littéraire fascinant.
Il s'appelle Hypnocratie, et si je ne devais en retenir que l'idée forte :
Le pouvoir ne réside plus dans le contrôle des corps ou des esprits, mais dans la capacité à moduler les états de conscience de populations entières.
JIANWEI XUN

Cet essai du philosophe hong-kongais Jianwei Xun a d'abord été traduit par le philosophe italien Andrea Colamedici, avant d'être très rapidement publié en France par la branche édition de Philosophie Magazine, en avril 2025.
On parle ici d'un livre-événement, à plus d'un titre (spoiler à la fin !)
Nous sommes en pleine hypnocratie.
"Pour s'échapper de prison, il faut d'abord prendre conscience qu'on est en prison."
Cette citation qui n'est pas tirée du livre - mais plutôt attribuée à Krishnamurti - illustre l'idée que pour se libérer à soi-même, il faut d'abord reconnaître l'existence de ses chaînes, qu'elles soient mentales, sociales ou institutionnelles.
La force du livre Hypnocratie, au-delà de son metaconcept mêlant brillamment théorie et praxis, c'est précisément de nommer une de ces chaînes.
"L'hypnocratie c'est ce système où le pouvoir opère directement sur la conscience, créant des états altérés permanents par la manipulation digitale de l’attention et de la perception."
Xun introduit le concept d'hypnocratie pour décrire un régime qui ne contrôle plus les corps ni ne réprime les pensées, mais qui induit un état de transe permanent. Dans ce système, l'éveil est remplacé par le rêve guidé, et la réalité par une suggestion continue : l'individu est hypnotisé par une réalité narrative imposée.
Je remercie Xun d'avoir conceptualisé cette notion, car à l'INEXCO comme dans mes cercles d'amis, nous croyons beaucoup à la création (et l'utilisation !) de nouveaux termes pour naviguer le réel et ses changements (cf Crisopportunité).
Son concept d'hypnocratie éclaire en effet des intuitions que nous portons depuis longtemps, à savoir que l'exploration des états modifiés de conscience n'a pas pour but d'être uniquement exploratoire, thérapeutique, créative ou récréative.
Explorer et savoir naviguer les états modifiés de conscience, c'est aussi selon nous un acte politique et sociétal.
C'est un savoir et une pratique pour échapper aux conditionnements et pour créer de nouvelles pistes vers un réel souhaitable.
La raison d'être de l'INEXCO, c'est de déstigmatiser et diffuser ces pratiques d'exploration afin de favoriser l'empuissantement et l'éveillance des individus, seul chemin à nos yeux pour faire muter le système : c'est en changeant les atomes qu'on change la molécule. La mutation sociétale ne peut venir que de la mutation individuelle.
Et l'hypnocratie c'est cette fabrique du réel destinée à étouffer toutes mutations et éveillances individuelles qui pourraient muter le système en place. Un système qu'on sait pourtant aujourd'hui mortifère, aussi bien pour la planète que pour la santé mentale de ses humains.
Fabriquer le réel ou le subir ?
L'hypnocratie, c'est le règne de la transe imposée et non choisie.
Il faut ici se rappeler que nous sommes à chaque instant dans un état de conscience donné, et que cet état peut être choisi.
Et que s'il n'est pas choisi, il est subi.
Pour rappel, même si le cerveau est un territoire encore largement inexploré, les neurosciences ont réussi à catégoriser 5 états de conscience reliés aux 5 bandes de fréquences de fonctionnement de votre cerveau (voir Fiche 3 min pour comprendre les ondes cérébrales et les états de conscience associés)
Le flot médiatique, pour maintenir notre attention, utilise ainsi des ressorts hypnotiques : inductions, répétitions, utilisation et réutilisation des fameux éléments de langage.
Nous assistons à une situation de transe sociale induite par la réalité médiatique, avec sa volonté de standardisation des perceptions afin de nous maintenir dans un état alerte et anxiogène, favorisant la servitude à une narration subie du réel.
Avec un stress chronique et un burnout au bout du chemin pour qui reste trop longtemps dans cet état d'alerte anxiogène.
La fabrique du réel est narrative
Jianwei Xun rappelle une évidence trop souvent oubliée : le réel n’est jamais neutre — il est façonné, scénarisé, raconté. La fabrique du réel est fondamentalement narrative.
Ce que nous tenons pour « vrai » est en grande partie structuré par des récits partagés, aujourd'hui portés par des figures charismatiques, des algorithmes, ou des interfaces. En termes de figures, il s'appuie sur celles de Trump, qui impose une réalité par la répétition incantatoire et la saturation émotionnelle, et de Musk, qui projette un futur désirable par la force de récits techno-messianiques.
L’hypnocratie s’appuie sur cette dimension narrative du réel pour imposer des visions, non pas en argumentant, mais en captivant. Elle ne cherche pas à convaincre, mais à hypnotiser.
Il est ainsi extrêmement difficile voir impossible de lutter contre ce système avec des arguments logiques et rationnels, puisque toute critique extérieure est vécue comme un approfondissement de la transe.
Quelles pistes de traverse ?
Comment rester lucide dans l’ère de la suggestion continue ?
"Pour s'échapper de prison, il faut d'abord prendre conscience qu'on est en prison." (bis)
La prise de conscience de l'hypnocratie et de ses méthodes opératoires permet de se détacher, si on le souhaite, de certaines de ses modalités : ne plus être quotidiennement l'esclave de l'actualité, mais la suivre de manière plus décalée, couper ses notifications, éviter le scrolling sur les réseaux sociaux, et pourquoi pas dans un premier temps enlever ces apps de son téléphone pour les garder en version web, moins addictive. Tout ça, c'est nos petits conseils sur le chemin de la désintox. Mais il faut aussi aller plus en profondeur.
Trois gestes pour traverser l'hypnocratie, selon Xun :
1) Rester lucide dans la transe en apprenant à la naviguer
L’hypnocratie agit moins par force que par saturation. Elle tisse autour de nous un flux constant d’histoires et d’images capturant notre attention.
Face à cela, il ne s’agit pas de chercher un éveil absolu, mais d'apprendre à rester lucide au cœur même de la transe, comme un rêveur conscient qui sait qu'il rêve, tout en continuant à évoluer dans son monde onirique.
Dans cette mer agitée, l’éveil n’est pas un saut hors de l’eau : il est cette capacité discrète à rester lucide tout en continuant à nager et respirer.
2) Devenir tisseur de récits
Face aux récits imposés, Xun n'appelle pas à la guerre, mais à la création.
Il nous invite à inventer nos propres histoires — à les rêver pleinement, à les habiter consciemment.
Chaque récit alternatif devient un fil de lumière tissé dans la toile du réel. Un lieu de ressourcement où la conscience peut demeurer vivante au sein même de l'illusion. Dans cette perspective, restaurer une écologie du récit, c’est résister à la colonisation de l’imaginaire.
3) Résister par l'imaginaire vivant et esthétique
Résister ne consiste pas seulement à déconstruire.
C’est aussi façonner, imaginer, donner forme, insuffler du sens, incarner d’autres possibles.
L'art, la beauté, la performance, sont autant de portes discrètes ouvertes dans la forteresse hypnotique.
Par l’acte de création lucide, nous transformons les mirages en tremplins vers la liberté intérieure.
C’est cette intuition que nous partageait d'ailleurs Antoine Bioy, spécialiste des états modifiés de conscience, dans notre dernier échange dans la Gazette de l'INEXCO :
"L’art peut être la solution à ce qui est en train de se produire sociétalement. Comme un contre-feu. Je crois beaucoup à l'art et à la culture comme moyen de façonner ces transes, là où la politique génère des transes trop sauvages pour produire du sens."
Nous pouvons donc rouvrir les portes que la transe sociale croyait scellées.
Vers une écologie de la conscience
Dans un monde où la réalité est sans cesse remodelée par des forces invisibles — algorithmes, récits viraux, figures hypnotiques — cultiver une écologie de la conscience devient un acte de résistance. Il ne s'agit plus seulement d’informer ou de comprendre, mais de reprendre soin de notre attention comme d’un territoire vivant. Face à la suggestion continue, nous pouvons réapprendre à habiter pleinement l’instant, à discerner ce qui nous traverse, et à choisir les récits qui nourrissent notre liberté intérieure.
Selon Xun ce n’est pas tant la réalité qu’il faut défendre, mais notre capacité à rester présents, lucides et créateurs au sein de cette fabrique du réel.
Face à la transe collective, il ne s'agit pas de s'éveiller hors du monde, mais d'apprendre à y rêver en conscience.
À chacun d'inventer ses voies de traverse.
À chacun de redevenir tisseur de ses propres états d'être.
La navigation consciente des états modifiés est ainsi une compétence-clé pour aujourd'hui comme pour demain et l'INEXCO s’inscrit dans cette dynamique : une invitation à explorer ensemble les chemins d’une conscience en éveil.
Clément, le 27 avril 2025
Pour aller plus loin :
- L'introduction du livre, en intégralité et en accès libre, sur le site de Philosophie Magazine :

- Spoiler du metaconcept :
Hypnocratie n'est pas qu'un essai philosophique, c'est aussi "un livre dans un livre", une expérience de pensée dont l’ampleur est exposée dans la postface de l'édition française.
Pour le spoil, je vous ai déniché cet article en accès libre dans Philonomist :

Pour finir, une de mes citations préférées d'Albert Einstein, fort à propos :
Aucun problème ne peut être résolu à partir du niveau de conscience qui l'a créé.
- Albert Einstein