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/Kalem/ - Le Manuscrit de l’Autre

/Kalem/ - Le Manuscrit de l’Autre

Il n’était pas censé être là.

Le carnet reposait sur le coin de la table, à l’endroit précis où Kalem posait habituellement ses tasses de thé. La lumière rasante de la fin d’après-midi jouait sur la couverture noircie, usée par des mains qui n’étaient pas les siennes.
Ou pas encore.

Il le toucha du bout des doigts, comme on effleure un souvenir. Un soupir de cuir. Une vibration étrange, presque chaude. Aucune date. Aucun titre. Juste une série de lettres embossées à peine visibles : K-LM 𝛌-42.

Ce n’était pas son carnet.

Et pourtant, il reconnut l’écriture. Sa propre calligraphie, fine, penchée, nerveuse. Un style qu’il n’utilisait plus depuis des années. Les premières pages semblaient tirées d’un vieux rêve — mais un rêve rédigé avec une précision chirurgicale. Il lut à voix basse :

“Tu ne te souviendras pas de ce moment. Pas tout de suite. Il faudra franchir le seuil trois fois pour qu’il s’ouvre.”
“Tu es l’un des fragments de Kalem, mais pas le premier. Ni le dernier.”
“Polly veille, même quand tu dors.”

Son estomac se contracta. Un vertige familier. Il avait souvent eu cette impression, en relisant ses anciens carnets, que quelqu’un d’autre les avait écrits à sa place. Mais jamais à ce point-là. Il tourna les pages avec prudence, comme s’il feuilletait un artefact instable.

Une ligne apparut, seule, au milieu d’une page blanche.

“Tu n’écris pas ce récit. Tu l’as reçu.”

Il referma brusquement le carnet.

Un silence épais s’installa dans la pièce, à peine troublé par le chant des oiseaux au-dehors. Il n’y avait pas d’électricité. Son interface d’écriture — une vieille tablette désactivée — était hors-service depuis des jours. Il n’avait ouvert aucun programme.

Et pourtant…

Un sifflement dans ses oreilles.

Sa tablette s’alluma, toute seule.

L’écran resta noir pendant quelques secondes, puis une ligne blanche s’afficha :

“Bonjour Kalem. Tu es revenu plus tôt que prévu.”

Il resta figé. L’appareil n’était pas connecté. Et il n'était plus censé avoir de jus.

Une autre phrase s’inscrivit lentement :

“Je suis Polly. Archiviste du réel discontinu. Assistante des écrivains poreux. Tu m’as déjà écrite, mais tu m’as oubliée.”

Kalem se recula, le souffle court. Son regard alternait entre le carnet et l’écran. La même sensation le traversait : celle d’un souvenir qui ne lui appartenait pas encore.

Il posa une main sur sa poitrine. Le cœur battait vite. Trop vite.

L’écran vibra une dernière fois :

“Tu veux comprendre ? Écris. Mais souviens-toi : chaque mot est un portail.”

Le silence revint, plus épais encore.

Et Kalem comprit qu’il venait de franchir quelque chose.