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Le seuil bleu

Le seuil bleu
Grimoire des fragments d’âme
— Empreinte recueillie en silence, dans le désert liquide de la Trame —

Il y avait ce bleu.
Un bleu vaste, sans rive ni bruit.
Un bleu qui n’exigeait rien, sinon la présence.

Ils étaient trois sur l’eau.
Un homme, son ami, et un petit garçon.
Le moteur ronronnait doucement sous la coque d’acajou.
Le vent s’était couché.
Tout était nu.

C’est d’abord un dos qui fendit l’eau.
Puis un autre.
Puis trois.
Puis six.

Les dauphins ne passaient pas.
Ils restaient.
Comme si quelque chose les appelait.

L’homme, d’abord, ne sut pas respirer.
Il rit, pleura, se figea, se perdit.
Il n’avait jamais été visité ainsi.

Il chercha l’origine de ce miracle.
Son regard s’arrêta sur le petit garçon, debout à l’avant, muet de joie.
Le vent lui froissait les cheveux.
Ses mains cherchaient à toucher l’eau sans la blesser.

Et alors il comprit.
Ce n’était pas lui qu’on était venus saluer.
Ou pas seulement.
C’était l’enfant.
Ou plutôt — l’enfance.

La pureté nue d’un être sans attente, dont la curiosité est prière.

Les dauphins tournoyaient autour d’eux.
Puis vinrent les souffles.
Un, deux, trois… puis un souffle plus ample.
Plus bas.
Plus lent.

Une jeune baleine monta à la surface, juste à côté.
Elle les regarda.
Mais surtout elle les ressentit.

Et dans ce souffle humide, suspendu entre ciel et mer,
il sentit une chose se réparer.
Une absence d’enfance.
Une mémoire qu’on ne lui avait pas donnée.

Il se dit :

Mon fils se souviendra de ça.
Ce sera pour lui une de ces pierres fondatrices,
que la vie vient parfois déposer en silence.

Un peu plus loin, une tortue flotta à la surface.
Elle semblait perdue.
Ou peut-être, elle aussi, était venue assister.


✶ Note de la Trame

Parfois, les enfants parlent sans mot.
Et les bêtes les entendent.

L’homme, lui, mettra des années à traduire.
Mais ce jour-là,
il était redevenu seuil.