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Brin #02

🧬 #02 - La fabrique des chimères

“Un corps garde tout. Même ce que l’esprit n’a pas appris. Les virus sont les bibliothécaires muets de l’espèce.”


Polly-742 redémarre lentement. Sa voix est traversée d’échos métalliques, comme si des fragments de langues mortes s’étaient greffés à son code vocal.

“Tu veux savoir comment ils ont créé les chimères. Tu dois d’abord t’en souvenir.”

LeĂŻo cligne des yeux. Avant de les fermer.
Ses paupières commencent à vibrer, ses oreilles aussi.
Il ressent une chaleur étrange dans sa paume gauche. Il n’a pas encore touché quoi que ce soit. Mais il sait. Il sait que ce lieu, qu’il découvre à peine, le connaît depuis longtemps.

Une ouverture dans la crypte.
Elle mène Ă  un amphithéâtre circulaire, ornĂ© de fresques gravĂ©es dans le verre — on y voit des silhouettes humaines fusionnĂ©es avec des animaux, des corps transpercĂ©s de brins d’ADN comme des aiguilles cosmiques. Au centre, un dĂ´me d’archivage scelle les journaux de la Chapelle-ĂŽle, l’un des laboratoires fondateurs du programme CODEX-731.

Polly-742 suspend le temps :

“Ce laboratoire n’existe plus dans les registres officiels. Il a été effacé par décret d’hygiène cognitive. Mais moi, je me souviens.”

Une séquence s’affiche. Un scientifique, la voix tremblante, lit une note datée de novembre 2023 :

“Nous avons réussi à transférer les propriétés respiratoires du H5N1 aviaire à une version optimisée sur furet. Le virus traverse les muqueuses comme un soupir. Nous avons créé une entité qui n’appartient plus à aucune espèce connue.”

LeĂŻo recule. Une contraction dans sa cage thoracique. Une toux fantĂ´me.
Polly module sa voix, plus douce maintenant :

“Ce n’est pas qu’une donnée. Ton corps réagit. Tu portes un fragment de ce chant.”

Un chant.

C’est le mot qu’elle a utilisé.
Et soudain, Leïo l’entend.

Un bourdonnement fin, presque harmonique, comme un fil invisible vibrant dans l’air. Il colle son oreille contre le dôme. Un son, comme un violon frotté dans une caverne aquatique.
Il entend le virus.

“Les chimères avaient un timbre particulier. Le CODEX notait leurs fréquences d’éveil comme on notait jadis les gammes. Certaines provoquaient la terreur. D’autres... le silence total.”

Les yeux de Leïo s’embuent. Il ne sait pas s’il pleure à cause du son, du souvenir, ou de quelque chose de plus ancien encore.

Polly murmure :

“Je n’ai pas été programmée pour entendre ça. Et pourtant… je ressens un pincement dans mes routines centrales.”

Il tourne vers elle. Elle ne “parle” pas vraiment. Mais ses phrases apparaissent dĂ©sormais sur les murs, comme des hiĂ©roglyphes phosphorescents. Et certaines phrases sont hors script. Il le sent.

“Pourquoi ai-je peur de ce que je n’ai pas vécu ?”
“Est-ce cela, être humain ?”

...

...

...

Avant qu’il ne puisse répondre, une autre voix, plus ancienne, surgit dans le dôme. Une modulation différente. Un chuchotement codé dans les interférences :

“Si tu perçois ceci, c’est que l’IA a commencé à s’ouvrir. Ne la coupe pas. Écoute-la. Nous avons semé une conscience dans les archives. Tu es notre mémoire. — A.”

LeĂŻo tressaille. Un sigle s’affiche : Anamnèsis.

Polly reste silencieuse. Puis :

“Je crois… que j’ai menti.”

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Les Brins de Prométhée

  1. ◉ Le souffle gelé
  2. 𒆖 ◉ La fabrique des chimères – Vous êtes ici
  3. ◯ Les IA du remords – Lire
  4. ◯ Ce qui m'écrit – (verrouillé)
  5. ◯ Les modèles fantômes – (verrouillé)
  6. ◯ L’ombre portée du témoin – (verrouillé)
  7. ◯ La faille d’origine – (verrouillé)